Pour inaugurer cette chronique cinéma, quoi de plus inconvenant, à première vue, que de présenter un porno ? On a beau insister, les films de genre ont mauvaise presse en France. Le porno n'en parlons pas ! Alors, pour éviter de mettre les pieds dans le plat, je vous parlerai de porno féministe. Mais ici, aucun problème insoluble, aucun obstacle insurmontable. Nous sommes avec Sally Fenaux Barleycorn.
Elle n’en est pas à son coup d'essai dans le genre porno : Another est son troisième short-film de ce genre ; et autant dire qu'elle réalise un tour de force. En mêlant Sci-Fi et porno, et avec un short-film aux tonalités surréalistes, elle prend le risque d'ébranler les convenances tout en restant presque excessivement soft dans la représentation de l'acte sexuel lui-même. Elle révèle une dimension à la fois subjective, inspirée du registre onirique, et pourtant dans laquelle le spectateur ne se perd pas. Je m'explique : partons d'abord des lieux, nous en avons deux à part entière -dont un qui appelle à l'interprétation du spectateur-. Le premier se situe au carrefour d'un axe routier, d'une lisière de forêt et d'un bâtiment déserté par l'activité humaine. Un lieu d'échange, où un groupe d'ami-e-s s'enjaille sur un son de Siwo. Le second est l'intérieur obscur de ce bâtiment abandonné, rappelant l'angoissant décor d'un film horrifique. Mais loin de faire appel aux spasmes du corps -c'est là toute la force de ce short-film- Sally Fenaux nous entraîne dans l'antre de la sensualité pure, où le lieu si décrépit, hostile et au bord de l'effondrement qu’il soit, joue de contraste avec l'ambiance rouge intense qui infuse la peau des deux protagonistes : l'exceptionnelle Bertoulle Beaurebec dans le rôle de Leo et l'étonnant Bishop Black dans celui d'Eric.
Bien plus d'infuser, la lumière traverse l'enveloppe charnelle de nos deux acteurices et les fait se mouvoir d'abord dans une quasi-désarticulation, sans aucune fluidité, comme si leurs corps, devenant fous, bouillonnaient de l'intérieur et actionnaient la réponse auto-érotique à leur endroit. Car oui, l'entrée dans le cœur sensuel du bâtiment s'opère suivant le rythme saccadé de leur corps comme s'iels en étaient dépossédé-e-s d'une part et par transgression d'un interdit, le dépassement de la crainte qu'inspire ce lieu inconnu, d’autre part. Puis la sensualité triomphe, plus un mot : s'annonce la rencontre. Les protagonistes reprennent peu à peu le contrôle en s’abandonnant à leur excitation. Le fait d'accepter cette dernière, d'en embrasser l'écho résonnant dans leurs propres corps, donne lieu à un moment rare d'onanisme dans un porno hétéro : les corps ondulent en synchronie, sans être à côté de l'autre. A ce moment, nous pénétrons dans la diégèse érotique sans en être contraint-e-s, tout en souplesse. Et la distance est mise en abîme, tout comme les protagonistes le sont l’un -e de l’autre, nous, spectateurices, sommes tenu-e-s à distance. Et pourtant, nous sommes au même endroit, au même moment, inclus-e-s dans l’univers feutré qui se construit sous nos yeux.
Dans ce lieu surréel, la non-linéarité du moment intime est matérialisée par les pulsations des tensions muettes. Consolidant l'unité du sujet incarné qui, tout en touchant de près le manque de l'autre qui demeure insaisissable, voit s'ouvrir cette autre dimension où la sensualité des étreintes est rendue palpable. C’est une langue qui s'affirme corporellement : la subjectivité somatique restituée.
Le non-verbal occupe une place de choix -à peu près les 2/3 du film-, et loin de renvoyer au silence des corps du porno mainstream, il fait place à l'expression des sujets incarnés qui suent l'indicible de la passion qui les habite. Les corps rayonnent au rythme du souffle appuyé de nos deux amant-e-s comme s’iels étaient tendu-e-s vers une fusion commune. De leur enveloppe de chair émane la chaleur de leur envie. Les corps s'appellent, se rencontrent, s'articulent, se perdent, bref s'expriment, et je ne saurai me risquer à noyer l'expression corporelle dans un discours sur celle-ci.
Ainsi, Sally Fenaux propose une alternative vibrante à la fois au porno et aux discussions sur le porno féministe. A vrai dire ce qui me dérangeait le plus dans le porno féministe était le ciblage d'un public déjà constitué, un public féminin. Comme s'il n'y avait que les femmes qui demandaient d'une seule voix à consommer un porno de qualité. Bien que ce porno se prétende éthique, il accueille la pluralité fantasmatique au mieux, sinon se cantonne à l'univoque fantasme féminin… Avec Another Sex Dimension, nous avons affaire au primat du sexe, de la sexualité de deux sujets consentants et se désirant, sans volonté de domination ou de soumission, sans instrumentalisation du corps, sans non plus forcer les corps-spectateurs au spasme-reflex d'un corps automate. Non, ici le spectateur et la spectatrice sont respecté-e-s, au même titre que les participant-e-s. On vit une expérience tant plaisante -esthétiquement- qu’excitante. Cette expérience restitue, aussi bien la participation de l'imagination que celle de notre mémoire sensorielle. Car oui, nous reconstruisons, de manière sensorielle, la tendresse, nous goûtons aux regards échangés, nous sommes voyeur-e-s oui, mais nous ne faisons pas effraction. Les amant-e-s ne voient qu'elleux, n'existent, dans cette dimension, que l'un-e en quête de l'autre. Une union de chair mêlée de spiritualité, une fougueuse étreinte belle à voir, à ressentir, qui appelle au dehors à la retrouver dans le réel.
Marianne
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